CHAPITRE I : LES BARONS / 16. OTAGES

Publié le 1 Novembre 2015

     L'attribution du gouvernail à la poupe avait échoué à Krénios : un tâche ingrate et fastidieuse qui permettait au matelot de piquer un roupillon de temps à autre sans que quiconque ne s’en aperçût.

     Jamais ô grand jamais, il n'avait été formé à lutter contre des pirates – encore moins contre le terrible Minotaure et sa bande de tueurs impitoyables. Krénios se savait peu courageux. Les mauvaises langues préféraient d’ailleurs employer le terme de lâche pour le désigner. Il se répétait, dût-il être la risée de tout l’équipage, que mieux valait être un lâche mais un lâche vivant.

     Depuis le début de la bataille, Krénios était resté caché derrière un tas d'épices – du safran à priori, mélangé à quelques fleurs de crocus rescapées dont l'épice avait été extraite.

    Depuis l'instant où il avait entendu les cris perçants des suppliciés, sa peur était montée crescendo pour ne plus jamais le quitter. A présent, elle lui glaçait les sangs ; chaque pore de sa peau suintait de transpiration. Sa tunique était trempée de sueur. Il crevait de chaud à l'intérieur et frissonnait à l'extérieur.

     Lorsque les hurlements déchirants des rameurs avaient redoublé, cela avait ravivé ses pires craintes. Une fois que les cris tourmentés eurent cessé, les voix des pilleurs lui étaient parvenues avec une meilleure distinction. Et sa peur avait redoublé.

     Il luttait contre lui-même afin de conserver la maîtrise de son corps. Cependant, sa mâchoire inférieure s’entrechoquait par réflexe avec celle du haut dans un mouvement convulsif et incontrôlable. Même en juxtaposant ses mains sur sa mâchoire, il ne parvenait pas à stopper le tremblement.

 

*****     ******     *****

 

     Le niveau de l’eau avait gagné plusieurs pouces et atteignait désormais les Barons à mi-cuisses. Ces derniers poursuivaient néanmoins leurs prospections à un rythme ralenti sans trop savoir quoi rechercher ni où regarder.

     Le petit groupe mené par Archélaos pataugeait dans l'eau et avait hâte d'en terminer ; des grognements et des soupirs de lassitude résonnaient à tour de rôle. Ils s'aidaient de leurs mains comme de nageoires qui les propulseraient pour avancer. Ils maintenaient leurs épées au sec en serrant la lame entre leurs dents. Dès qu'ils auraient visité la dernière cale, ils rebrousseraient chemin et se retrouveraient – enfin ! –au sec.

     Archélaos monta les trois premières marches avec une extrême facilité : ses jambes semblaient léviter portées par la force de l'eau. A la quatrième marche, elle atteignait ses mollets ; à la cinquième, ses chevilles et lorsqu'il poussa la porte de la dernière cale et qu’il y pénétra, une grande satisfaction l'accueillit : la zone n’avait pas été encore inondée. Ce contentement fut de courte durée dès lors qu'il constata le contenu de la pièce exigüe : des épices !

      Par tous les dieux de Samothrace ! : encore et toujours ces foutues et maudites épices !

     Un flux de colère auquel il ne pouvait résister submergea tout son être. Il invectiva les Cabires[1] et leur promis de les retrouver – où qu’ils fussent en Enfer – pour leur faire payer leur infâme ignominie. D’un regard circulaire vague, il balaya l'intérieur de la minuscule pièce. De rage, il envoya son épée se planter droit dans un tas d’épices quelconque.

     Il avança de quelques pas, suivi de près par les trois autres Barons. Il libéra l’épée de son ciment et se lança dans un combat ultime et absurde contre un monticule de safran comme s'il luttait contre un énième marin de l'équipage. Pour exorciser son accablement, il l'avait humanisé, l’injuriait et lui faisait goûter de sa lame d'acier. Les trois autres Barons tout aussi désillusionnés manifestaient leur mécontentement à grand renfort de fustigations de leurs dieux respectifs jusqu’à ce que le plus petit du trio interpelât Archélaos et d’un signe de tête, lui intimât de partir de là.

     Archélaos s'apprêtait à faire demi-tour lorsqu’un bruit suspect lui fit tendre l'oreille. D'un geste de la main, il exigea le silence de la part de ses compagnons. Au-delà du bruit récurrent de l'écume, un claquement peu commun éveilla des soupçons.

     Il s'exprima avec les mains pour que les Barons encerclent avec prudence la zone d'où provenait ce bruit étrange. Ils avancèrent à pas de loup comme lors d’une partie de chasse on encercle le gibier avant de lui fondre dessus. Une fois en position, ils attendirent le signal d'Archélaos.

 

*****     ******     *****

 

     Artaxerxès, l'unique survivant des hoplites – et accessoirement le plus haut gradé –, avait réussi à échapper par trois fois à une mort certaine. La première fois, il avait détalé comme un lapin face à ce métèque fou furieux qui hurlait dans un langage abscons et qui avait occis deux vaillants soldats. La deuxième fois, à l'approche du gros tatoué, il s'était jeté parmi les cadavres et le barbare l'avait frôlé sans le remarquer. Et la dernière n'était guère plus glorieuse : il avait pris la poudre d’escampette face à ce cinglé blond à l’épée qui avait tué à lui-seul deux gars de l'équipage ainsi que trois guerriers surentraînés.

     Maudite destinée ! Maudite soit Mizdushish !

     Maudit soit Ahura Mazda ! Maudit soit Brtakamya[2] !

     Et maudits soient tous les dieux de la Perse !

     Au départ, cette birème placée sous sa garde était tout ce qu'il y avait de plus anodin. Artaxerxès et six fantassins avaient embarqué à bord. Leur mission : protéger l’équipage, plus un vieillard, une famille patricienne en transit et pléthore de céréales et d'épices… et aussi une batterie d'esclaves sans la moindre importance. En somme, un simple trajet de routine – et de plaisance – durant lequel le vin d’Hellade avait coulé plus que de raison et avait levé leurs dernières inhibitions.

     Maudite destinée ! Maudite soit Mizdushish !

    La birème avait été attaquée par les pirates les plus dangereux des mers : les Barons dirigés par Xytrios dit le Minotaure. Des récits – ou des rumeurs ? – de quelques rescapés (comme le miraculé Tarquitius) avaient rapporté que Xytrios détenait des pouvoirs mystiques, presque divins, et qu'il était le frère du minotaure, monstre à la tête de taureau enfermé à tout jamais dans le Labyrinthe. Or le minotaure était né des amours de Pasiphaé, fille d'Hélios et de Persé, avec un taureau blanc envoyé par Poséidon lui-même. Les rumeurs incitaient donc à supputer que, Xytrios serait en quelque sorte un lointain descendant du dieu des mers et que ce dernier cautionnerait les actes du pirate… !?

     Dès l’assaut, un premier fantassin s'était opposé à l'ennemi. A vouloir jouer les héros, ce brave homme – dont Artaxerxès ne se souvenait guère plus du nom – avait été laminé en deux ou trois estocades par le grand blond.

     Les six soldats s'étaient repliés et avaient réfléchi à une stratégie offensive. Or les idées de ses coéquipiers s’étaient avérées navrantes voire même suicidaires. Le tempérament précipité et impétueux de l'un soutenu par les propos intrépides d'un autre avaient dominé la logique et la réflexion qu'auraient souhaité imposer Artaxerxès. Au contraire, deux autres soldats avaient tenu un discours laconique plus pragmatique et bourré de bon sens. Quant au dernier, avec ses prédictions défaitistes, mieux valait ne pas l'écouter. Incapables de trouver un compromis pour établir un plan d'attaque satisfaisant, la phalange s’était dispersée.

     Un peu plus tard, le métèque qui hurlait dans une langue inconnue avait chopé deux des siens, celui qui prônait l'impétuosité et le fantassin au caractère pragmatique. Il les avait égorgés.

     Deux courageux marins les avaient alors rejoint et, ensemble, ils avaient tenté d'impressionner les pirates à coups de cris intimidants "haaaaa-kâââ". La technique n'avait pas semblé porter ses fruits : le blond à l'épée n'avait même pas sourcillé et les avait défiés. D'une dextérité sans nulle autre pareille, il avait décapité le combattant intrépide, avait fracassé le crâne de l’un des marins avant de transpercer le cœur du fantassin qui parlait peu, le laconique. Tout cela avec une extrême célérité.

     Maudits dieux de Perse qui ne daignaient pas intervenir pour leur porter secours !

      Artaxerxès avait compris qu’il ne ferait pas le poids face à ce bourreau. Ses plus profonds instincts de survie s’étaient mis en alerte : il avait pris les jambes à son cou tel un animal aux abois.

     Il avait couru à en perdre haleine sans savoir où il se dirigeait. En tout cas le plus loin possible de cette scène de mises à mort. A l'extrémité de la birème, il avait enjambé la rambarde. Lorsqu’il s’était retourné, il avait aperçu que celui qu'il avait taxé de pessimiste servait de bouclier au grand blond pour dézinguer le dernier matelot. Jamais il n'aurait imaginé que ce gars aux propos suicidaires aurait survécu si longtemps !

     Artaxerxès avait poursuivi sa manœuvre sans s'en soucier pour autant : les orteils en appui sur la minuscule corniche et les mains solidement accrochées à la rambarde, il avait positionné son bassin en équilibre dans le vide. De par son entraînement intensif, il avait concentré sa force dans ses biceps et ses mollets ce qui lui avait permis de rester suspendu là pendant un très long moment. De temps à autre, il avait redressé la tête pour observer le champ de bataille.

      Lorsque tous les Barons étaient descendu dans les cales, il avait sauté sur le pont et s’était précipité en direction du bateau des Barons. Artaxerxès agissait par instinct. Certes, il avait conscience de prendre un risque énorme. Mais la birème coulait et comme la majorité des perses, il ne savait pas nager. Entre périr noyé ou continuer à vivre, aucune hésitation possible.

     Il avait escaladé la coque par le côté le moins exposé. A la seule force des bras.

     Au sommet, il avait repéré Xytrios seul sur le ponton qui s'absorbait dans chaque fait et geste de ses hommes. Il avait regardé alentour : aucun autre baron n’était présent. Personne non plus en haut du mat. D'une puissante flexion, il s'était propulsé sur le rebord, était descendu sur le pont sans produire le moindre bruit. Il avait localisé un tas de cordages près d’un amas de babioles et dans l'urgence et l’attente de trouver mieux, il s’était réfugié dessous.

 

*****     ******     *****

 

     Deux costauds transportaient le coffre cadenassé et poussaient des ahans à chaque pas. Slask les suivait à la trace comme leur ombre sans quitter des yeux le précieux trésor. Vu les efforts que déployaient ces deux balourds, le coffre dépassait toutes ses espérances : il devait renfermer des centaines et des centaines de pièces d’or.

     Ereintés, les deux balèzes laissèrent choir la cargaison au pied de la coque de la galère barbare. Immédiatement, Slask gronda dans sa langue gutturale : il bouscula ces deux imbéciles, les saisit chacun par l'épaule et les secoua avec hargne tout en continuant de gueuler sur eux.

     Celui à sa gauche baissa la tête d'un air penaud alors que celui à sa droite protesta que Slask n'avait qu'à se démerder lui-même s'il n'était pas content. Slask n'apprécia guère le ton employé ; il répondit du tac au tac par un violent coup de poing dans le bide de l'impoli qui se plia en deux.

     Le silésien s'accroupit sans s'arrêter de grogner et commença à inspecter le coffre sous tous les angles. Celui-ci semblait n’avoir subi aucun dommage. Heureusement pour ces bons à rien !, sinon il aurait exprimé sa rage à coup de phalanges, à coups de poings et à coups de coudes sur ces crânes d’abrutis.

     Il se redressa et leur décocha un regard empli de haine.

    Il hurla des ordres sibyllins à l’attention du gars au sommet de la galère qui déroula des câbles et les balança par-dessus bord.

     Le coffre fut enroulé autour de deux cordes qui pendaient par des nœuds solides. Une fois harnaché, Slask tira deux fois sur l’une des cordes afin qu'on soulevât le butin jusqu’en haut avec une extrême précaution. Slask et les deux costauds grimpèrent de la même manière à bord du navire : ils glissèrent un pied dans la boucle d'un nœud de chaise, tirèrent deux coups et on se chargea de les hisser.

     Dans un obscur jargon silésien et une gestuelle toujours très agitée, Slask désigna deux autres empotés à qui il confia le soin d’acheminer le coffre. De l'index, il indiqua l'endroit exact où le déposer : juste à côté des autres trophées collectés lors de précédents pillages... Trophées qui jouxtaient un tas de cordages…

     Comme ses compagnons marquaient un temps d'arrêt et ne semblaient visiblement pas comprendre sa requête, Slask haussa la voix, leva les bras en l'air et hurla d'autres ordres tout aussi inintelligibles. Les deux commis d’office se renvoyèrent des regards interloqués avant de partir chacun dans une direction différente. A nouveau, le coffre s’écrasa au sol.

     Slask redoubla de colère : il envoya paitre ces deux imbéciles en des termes que ces derniers estimèrent injurieux. Il saisit le coffre par le dessous et le traîna jusqu'à l'endroit précis où selon lui il devait se situer, c’est-à-dire près de ce maudit tas de cordages.

     Slask bouillait d’impatience : l’objectif premier consistait à forcer le cadenas et à ouvrir ce coffre dans les plus brefs délais afin qu’il révélât son contenu. Alors qu'il continuait à jacasser seul, il repéra au niveau des cordages des gigotements anormaux.

     Il donna un coup de pied dedans.

     Un gémissement humain en émana.

 

*****     ******     *****

 

     Lorsque la porte s'ouvrit et que dans son encadrement jaillit le blondinet flamboyant, la respiration de Krénios se bloqua de manière instantanée. Son muscle cardiaque cessa de battre – du moins c’était ainsi qu’il l’imaginait – et son organisme entier stoppa toutes ses fonctionnalités naturelles. Une impression de suffocation irrépressible le saisit dans la foulée. Pire sa terreur se propagea et se traduisit par un mouvement involontaire de sa mandibule inférieure qui claquait en secousses incoercibles.

     Ce bruitage sec et répété risquait de trahir sa position.

    A l’approche imminente des barbares, le freluquet phénicien camouflé derrière son tas d’épices se savait fait comme un rat. D'un instant à l'autre, ils le découvriraient et le trucideraient. Ses mâchoires qui s’entrechoquaient lançaient un véritable cri d'alarme qui signifiait clairement "Eh oh ! Je suis ici. Eh oh ! Venez me tuer." Il se devait d'agir avant.

     Sans vraiment réfléchir, Krénios s’éjecta hors de sa cachette, tel un danseur classique peu expérimenté, prêt à en découdre avec l'ennemi.

     Son squelette vibrait si fort qu’on aurait cru que tous ces membres allaient se disloquer en un jeu d’osselets. Le phénicien dénoua la ceinture de son exomide[3] et la fit tournoyer au dessus de sa tête.

     « Sus à l'envahisseur. En garde viles sauvages. »

 


[1] Les Cabires font partie des grands dieux du panthéon de Samothrace et correspondent peut-être à l'origine aux deux héros légendaires fondateurs des mystères de Samothrace, les frères Dardanos et Éétion. Ils sont identifiés par les Grecs avec les Dioscures, divinités jumelles très populaires comme protecteurs des marins en détresse.

[2] Mizdushish : déesse perse du destin de la période des rois achéménides(539-331 av J-C)

Ahura Mazda : le Génie du Soleil Levant et Brtakamya : celui qui accomplit les vœux 

[3] Tunique courte servant en général de tenue de travail, utilisée par les marins, les soldats, et les ouvriers (libres ou esclaves). Elle se compose d'une seule pièce de tissu drapée autour du torse, passant autour de l'épaule gauche et laissant nue l'épaule droite. Elle peut être fixée sur l'épaule par une fibule. Elle est resserrée autour de la taille par une ceinture. L'exomide laisse une grande liberté de mouvement, ce qui la rend particulièrement adaptée comme tenue de travail.

Ulysse portant une exomide, une chlamyde (manteau) et un pilos (bonnet).

Ulysse portant une exomide, une chlamyde (manteau) et un pilos (bonnet).

L’exomide est, en Grèce antique, une tunique courte servant en général de tenue de travail, utilisée par les marins, les soldats, et les ouvriers (libres ou esclaves)

L’exomide est, en Grèce antique, une tunique courte servant en général de tenue de travail, utilisée par les marins, les soldats, et les ouvriers (libres ou esclaves)

    Abasourdis, les pirates furent un instant désorientés face à ce guignol avant de s’esclaffer jusqu’aux larmes quand ce dernier se décida à les provoquer.

     Krénios sautillait n'importe comment tel un lapin aux abois. Difficile de maintenir l'équilibre d'autant plus sur ce sol glissant que l'eau commençait à recouvrir. Par ailleurs, il avait omis que cette cordelette usée qui lui servait de ceinture était un élément indispensable au maintien de tout vêtement autour de la taille. Passionné par ses actes chorégraphiés et ses amples mouvements de diversion, la tunique se dégrafa de son épaule.

     La combinaison des événements qui suivirent entraîna une crise de fou rire chez les Barons.

     La courte tunique dégoulina le long de son corps frêle en suivant les courbes anguleuses de sa carrure squelettique ; elle acheva sa course au niveau de ses chevilles qui faisaient saillie. Krénios emporté par l’élan se prit les pieds dans le tissu. Il ne chut pas pour autant : il chancela à cloche-pied d'un côté, posa le second pied à terre, tituba de l’autre côté. Embarrassé car totalement nu, le phénicien rougit de honte des orteils jusqu’aux lobes des oreilles. Cet infime instant de déconcentration suffit à la lanière de tissu qui virevoltait au dessus de son crâne pour modifier son trajet et s’encastrer tel un fouet en plein sur son nez pointu. La douleur fut cinglante : elle irradia jusqu’à son crâne qui lui parut se fissurer. Du sang commença à perler à l’orée de ses narines. Il bondit en arrière et dérapa ; il tomba à la renverse sous le choc. Sa rencontre avec le plancher fut brutale : sa tête émit un bruit sourd. Krénios fut assommé sur le coup.

 

*****     ******     *****

 

     Slask retroussa sa lèvre supérieure et fronça les sourcils tout en grommelant dans son obscur dialecte. Il pencha sa tête du côté droit comme pour mieux soupeser cette incongruité. Sans se poser plus de question, il donna un second et violent coup de pied dans les cordages.

     Artaxerxès cria à nouveau.

     Le coup l’avait atteint en plein dans les côtes. Il voulut résorber la douleur et se protéger d’un prochain coup en repliant ses bras en croix contre son poitrail. Or l’opération s’avérait impossible : lorsqu’il leva ses poignets, ils emportaient avec lui tous ces boyaux de chanvre tressés. Il se débattait pour sortir de cette prison de grelins mais plus il gesticulait, plus il s'emmêlait les membres.

     Slask interpella ses congénères – ou plus exactement, il rugit après eux. Les gars comprirent qu’il se passait quelque chose d’inhabituel : ils accoururent et encerclèrent la zone.

     Pendant que Slask continuait de beugler, ils se ruèrent à quatre pour maitriser l'intrus.

     Deux d’entre eux immobilisèrent ce qu’ils crurent identifier comme des jambes tandis que deux autres s’acharnaient à démêler les nœuds.

     L'hoplite fut vite extrait de dessous les cordages et mis debout par la force ; chacun de ses bras immobilisé avec fermeté par un Baron.

     Slask le toisa et débita un flux de questions dans sa langue maternelle.

     Face à l'absence de réaction de son interlocuteur, il lui administra un coup de poing dans le bas ventre.

     Artaxerxès absorba le coup, cracha une bile sanguinolente et trouva la force de dire :

« Puissent les juges des Enfers te contraindre aux pires supplices, face de chien. »

     Slask ne saisit pas la profondeur du sort qu’on lui avait adressé. Peu lui importait. Il fit signe à ses deux acolytes qui appuyèrent sur les épaules du détenu et le forcèrent à poser un genou à terre puis le second. Slask réitéra ses questions et le cogna dans la foulée d'un direct dans la mâchoire.

     Le vacarme qui régnait sur le pont contraignit Xytrios, toujours immobile à la proue de son navire, à s'extirper de ses pensées. Il effectua un quart de tour sur lui-même.

« Qu’on attache le prisonnier au mât. »

     Les deux pirates traînèrent le soldat amoché sous les yeux dépités de Slask qui aurait souhaité poursuivre plus en longueur ce divertissement…

 

*****     ******     *****

 

     La totalité des pirates avaient désormais regagné leur vaisseau.

    Archélaos avait traîné avec lui un fardeau supplémentaire : le corps inanimé de l'acrobate fou.

     « Y'a plus rien ici Cap'taine, dit-il. Fichons l’camp d'là.

      - Maudit rafiot !, maugréa Xytrios. Que ce Poséidon soit pendu par les couilles ! »

     Depuis un long moment déjà, le capitaine avait perdu patience et cette euphorie qui avait inondée d'une façon imperceptible le masque de son visage. Seul un œil exercé aurait pu dénoter cette infime modification tant ce faciès demeurait toujours aussi inexpressif.

     Xytrios se sentait frustré. Tout ça pour ça : un coffre aussi minuscule qu’une urne funéraire.

     Il leva les yeux vers le haut du mât d'où Pépy observait la scène. Il lui adressa un bref hochement de tête. Celui-ci réagit dans l'instant et glissa le long du poteau. Il se présenta face au capitaine qui déclara d'un ton glacial : « Prends quelques gars et brûlez c'rafiot. »

     Pépy choisit deux confrères agiles. Tous trois coururent jusqu'à l'éperon qu'ils dégringolèrent à grande vitesse. Sur le pont de la birème, ils se séparèrent : Pépy s'occuperait d'embraser le mât central tandis que le deuxième se chargerait d'enflammer certains points stratégiques au niveau de la proue et le dernier, à la poupe. Leur mission devait s'accomplir dans les plus brefs délais.

     Pendant ce temps-là, Slask, armé du kopis d'Archélaos, prenait grand soin à forcer le coffre…

Rédigé par Jérémy STORM

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